L’ASPERGE, UN PETIT GOÛT D’INTERDIT
Le mot asperge dérive du latin asparagus, signifie « plein de sève ». Cette appellation n’est en rien erronée lorsque l’on sait que ce légume est composé à plus de 90/° d’eau. Pour les Grecs, le terme asparagos désigne également une jeune pousse généralement épineuse. Cette plante serait originaire du bassin méditerranéen mais rien ne permet de l’affirmer avec certitude.
Anciennement classée dans la famille des Liliaceae, l’asperge s’est vue gratifiée par la classification phylogénétique qui a créé pour elle la famille des Asparagaceae qui ne comprend que deux genres : Asparagus bien sûr et le genre mexicain quasi inconnu Hemiphylacus riche de cinq espèces. La famille des Asparagaceae inclut désormais les Agavaceae (Agave, Beschorneria, Furcraea, Polianthes, Yucca…) et les Hyacinthaceae (Chionodoxa, Eucomis, Hyacinthus, Muscari, Scilla…)
L’asperge est une plante vivace qui peut atteindre 1,50 m de hauteur. Ses nombreuses racines forment une souche appelée « griffe » sur laquelle poussent les tiges comestibles nommées turions. L’asperge est une plante dioïque, c’est-à-dire en langage botanique, unisexuée. Alors, seuls les sujets femelles portent logiquement en hiver des petits fruits rouges qui renferment des graines noires.
L’asperge, légume de l’élite
Les Égyptiens appréciaient les asperges pour leurs qualités diurétiques et les Grecs les consommaient principalement pour leurs pouvoirs supposés aphrodisiaques. Les Romains apprirent eux aussi et très vite à les cultiver. Les asperges étaient alors réservées à l’élite et à ceux qui possédaient les moyens d’y mettre le prix. Curieusement, et alors que ce légume suscitait un réel engouement pour la finesse de son goût, il fut délaissé au cours des siècles et seuls quelques maraîchers d’Afrique du Nord s’obstinèrent à en produire jusqu’au Moyen-Âge.
Il fallut attendre la Renaissance pour que l’asperge parvienne en Europe. Elle fut d’abord produite en Allemagne, en Belgique et en Hollande. Au début du seizième siècle, les asperges étaient cultivées dans toutes les régions de France. C’était encore, et toujours, une denrée rare, chère et réservée aux puissants et aux riches. Olivier de Serres (1539-1619) s’intéressa à la plante et il décrit avec précision sa culture dans son « Théâtre d’agriculture et mesnage des champs », ouvrage fondateur paru en 1600.
L’asperge, délice du Roi Soleil
Louis XIV aimait les asperges et il souhaitait en déguster beaucoup et le plus souvent possible. Il demanda donc au grand jardinier Jean-Baptiste de la Quintinie (1624-1688) de produire au Potager du Roy cette tige tant appréciée. Les asperges étaient alors cultivées sous châssis pour les protéger des intempéries. Les résultats obtenus étaient satisfaisants et les récoltes abondantes et de qualité.
Le monarque et toute la Cour ne tarissaient pas d’éloges sur les asperges. En 1691, un ouvrage culinaire précise dans le style très expressif de l’époque, la meilleure façon de les préparer : « Il faut rompre vos asperges par petits morceaux, et les faire un peu blanchir dans l’eau bouillante. Après on les passe au bon beurre dans la casserole, ou avec du lard, si l’on n’a pas de fort bon beurre. Prenant garde que le tout ne soit pas trop gras, on y met ensuite du lait et de la crème, et on l’assaisonne doucement, y mettant aussi un bouquet de fines herbes… Vous pouvez aussi servir des asperges en petits pois, avec un coulis vert de cosses de pois, ou autre chose ; une croûte au milieu et le tout garni d’un cordon de pain et de jambon ».
Dans le potager royal, des armées de jardiniers travaillaient à améliorer la plante qui, si elle est délicieuse, n’en reste pas moins bien petite pour de si grands appétits. « L’esperge », c’est ainsi qu’on la nommait à Versailles, fit l’objet de tous les soins et de nombreux travaux de sélection permirent enfin d’en produire d’une taille acceptable.
L’asperge est les médecins d’antan
Au dix-huitième siècle, tous les jardiniers de France cultivaient l’asperge. Ce légume était alors fort apprécié pour son goût subtil, mais surtout pour les multiples propriétés médicinales qu’on lui prêtait. Les ouvrages savants de l’époque indiquent que sa racine est diurétique et résolutive et qu’elle « déterge principalement la rate et les reins ». Les médecins d’alors prétendaient que : « la puanteur de l’urine qu’on rend un peu après avoir mangé des asperges, démontre leur caractère de dissoudre et de réparer le sel urineux volatil et d’introduire la putréfaction, qui est une disposition au calcul plutôt qu’un remède ».
En 1747, le dictionnaire d’économie domestique précise que : l’asperge est un fruit délicat et sain à chacun, surtout quand elle est grosse et tendre, douce et non trop cuite, elle rend l’appétit à un malade s’il en use avant le repas, fait uriner, ôte les obstructions des reins et du foie ; sa racine appliquée sur les dents, apaise la douleur et fichée dans les dents les déracine.
Les asperges et les idées mal placées
Au dix-neuvième siècle, Argenteuil, en région parisienne, devint le haut lieu de la production des asperges. À cette époque puritaine, la bonne société restait persuadée des vertus aphrodisiaques de cette plante pas comme les autres. Dans les pensionnats de jeunes filles, les asperges étaient interdites dans les cuisines, mais peut-être pas dans les dortoirs… On les soupçonnait en effet de réveiller les désirs inavoués des demoiselles réputées chastes et innocentes.
Il est vrai que la forme de cette tige évoque pour beaucoup l’objet de tous les vices. D’ailleurs, ne disait-on pas jusqu’au début du vingtième siècle qu’une femme qui vit de ses charmes « va aux asperges » ?
Le déclin de la fameuse asperge d’Argenteuil
En 1900, les cultures installées dans le bassin parisien furent gravement endommagées par la mouche de l’asperge (Plioreocepta poeciloptera) et, malheureusement, quantité d’entreprises horticoles ne survirent pas à l’invasion des larves qui minent les tiges.
Par ailleurs, le prix des terrains ne cessant d’augmenter, les plantations durent laisser la place au béton des constructions nouvelles, conséquence d’une urbanisation galopante. Argenteuil perdit alors son statut de grand producteur et beaucoup de maraîchers partirent s’installer dans le centre et le sud du pays.
L’asperge chinoise est la plus consommée au monde
Aujourd’hui, le premier pays producteur d’asperges est la Chine avec 3,5 millions de tonnes par an, soit 85 % des asperges consommées sur la planète. Suivent ensuite le Pérou, les États-Unis et le Mexique. La France se situe loin derrière et ne produit chaque année qu’une vingtaine de milliers de tonnes sur environ 6 000 ha, les Pays de la Loire proposant les asperges les plus réputées.
L’asperge est aussi appréciée pour ses propriétés calmantes, diurétiques, laxatives et sédatives. Elle contient de nombreuses vitamines (A, B1, B2, B5, B6, C, PP…), minéraux et des oligo-éléments (calcium, cobalt, fer, iode, manganèse, potassium, zinc…).